Épisode 3, la revue numérique. Piwi Cœur a bientôt quatre ans. L’occasion pour nous de faire le bilan de ces années « pré-scolaires », au cours desquelles nous avons vécu personnellement la question du mode de garde et travaillé dessus avec associations, élus et professionnels à Besançon, Nancy, Reims et Dijon en 2021, Rouen, Tours et Villeurbanne en 2022. Les enjeux, les exemples, les solutions qui existent, vous sont présentés dans les articles en lien ci-dessus (cliquez sur le nom des villes). Dans celui-ci, nous nous prêtons au jeu de la synthèse et de la mise en perspective.

La base : quelle case ?

Lors de la tournée 2021, pour parler de la question du mode de garde avec les élus des villes que nous avons traversées, nous nous sommes adressées aux élus en charge de la santé et du handicap. C’est un détail en soi déjà très intéressant : il révèle que pour nous, ses proches, Piwi Cœur se définissait en premier lieu par sa maladie, l’aspect « petit enfant » étant relégué au second plan. Malade => élu en charge de la santé, une évidence. Ça n’a semblé choquer personne, en tout cas pas les élus eux-mêmes.
Ce n’est qu’en organisant la grande rencontre « L’inclusion, elle se construit dès le plus jeune âge », à Villeurbanne en 2022, que nous avons pour la première fois été mis en relation avec l’élu de la petite enfance, et même plus directement, la directrice de la petite enfance. Bien sûr, Piwi Cœur était malade, mais c’était d’abord et avant tout un petit enfant, qui relevait donc de « la petite enfance ».

Mais alors, pourquoi, dans les quatre grandes villes que nous avons traversées en 2021, personne ne nous a orienté vers les services de la petite enfance ? Parce qu’en réalité, le tout petit enfant malade/en situation de handicap a un pied dans les différentes cases, sans rentrer complètement dans aucune. Il relève des responsabilités des uns autant que des autres et donc in fine, de personne…
Illustration au combien révélatrice : les statistiques.
– Combien d’enfants identifiés « à besoins spécifiques » accueillez-vous dans les crèches de la ville ?
« Il faudrait voir avec la CAF », « Peut-être que Monsieur Untel pourrait nous dire », « Dur à dire ».
Impossible alors de poser les questions qui en découlent : le ratio entre les enfants de moins de trois ans reconnus en situation de handicap par la MDPH et ceux accueillis dans les crèches de la ville par exemple, qui serait pourtant un indicateur très important à suivre pour identifier les obstacles à l’accueil.
Comment apporter des réponses à des questions qu’on n’est pas organisé pour pouvoir poser ?

Lors de la tournée 2022, nous avons réussi à réunir partout où nous sommes passées les élus de la petite enfance, de la santé et du handicap, avec des professionnels de santé et de la petite enfance. Le constat s’est répété à l’issue de chaque rencontre : « Nous ne nous étions jamais réunis ! C’est évident que nous devons travailler ensemble sur ces sujets ». Alors, « y a qu’à« , comme dirait l’autre ! Sauf que… Qui prend l’initiative ? Qui organise ? Qui dédie le temps nécessaire d’une personne de son service ? Tout le monde et donc au final…

Pourtant, les petits enfants malades/en situation de handicap sont bien accueillis ?

Oui, en effet. Dans les grandes villes du moins, nous pouvons dire « oui ». Que ce soit, comme à Rouen ou Villeurbanne, dans des crèches « inclusives », avec un fléchage clair vers des places réservées pour les enfants au milieu de leurs camarades sans besoins spécifiques identifiés, ou comme à Tours, avec une répartition des enfants dans les différentes crèches de la ville en fonction de leur capacité d’accueil et des adaptations nécessaires.

Ce sont les élus de la petite enfance qui ont pu nous donner le plus de précisions, en s’appuyant sur leur direction de la petite enfance et plus précisément LA personne dans leur équipe qui s’occupe des enfants à besoins spécifiques (dans les villes où cette personne existe). Oui, et c’est là qu’apparaît au grand jour l’extrême fragilité du système : partout, l’accueil des enfants à besoins spécifiques s’est construit de manière pragmatique, empirique, au fil de l’eau. Avec une personne – souvent la psychologue du service petit enfance – qui a petit à petit structuré et coordonné l’accueil en fonction des besoins sur le terrain et des ressources dont elle pouvait disposer. La bonne volonté, l’engagement, la vision aussi, d’une personne.

En fait, l’accueil du petit enfant malade/en situation de handicap est parti de rien il y a 15 ans pour arriver aujourd’hui, dans la plupart des grandes villes, à une construction très élevée et très efficace, mais aussi très fragile. Le temps est venu de l’étayer et de l’appuyer sur des fondations solides. Des fondations qui viendront, comme toujours, du terrain et de l’engagement des individus dans un travail commun des professionnels, des associations et des politiques. Avec sur ce sujet bien précis, la compétence étant municipale, les élus de la petite enfance, de la santé et du handicap qui impulseront ensemble le mouvement, avec feuille de route, projets, et… budget dédié.

Une utopie ? Peut-être que oui, peut-être que non. L’avenir le dira. Piwi Cœur, de sa place, joue son rôle : partager son expérience, s’appuyer dessus pour pointer les enjeux, et créer du lien autour.

Penser la construction…

Qui dit construire, dit penser la construction…
La loi de 2005, même si elle n’oblige pas à proprement parler une crèche à accueillir un enfant porteur de handicap, a marqué un tournant dans la perception du handicap au sein de notre société. Les regards ont commencé à changer, au même titre que les prises en charge. Petit à petit, de manière imperceptible sur le temps court, mais remarquable avec le recul des années. Aujourd’hui, 17 ans plus tard, certains enjeux ont quasiment disparu, laissant place à d’autres, et c’est un nouveau tournant qui se profile. Nous avons repéré, au fil de nos rencontres, deux grands axes qui pourraient bien en constituer l’horizon :

  • L’autodétermination. Qui s’apprend dès le plus jeune âge – on le savait déjà – y compris pour les enfants porteurs de handicaps – et c’est là que le tournant s’opère : pour ces derniers, l’apprentissage ne va pas de soi. Il passe par un accompagnement sensibilisé au sujet et formé pour le porter. C’est par les crèches que la communication « non verbale » s’est propagée partout sur le territoire, ouvrant aux enfants jusque-là enfermés derrière la barrière de leur corps la porte du monde extérieur. Les écoles maternelles leur ont emboité le pas, le train est en marche et ne s’arrêtera plus. Il en sera de même pour l’autodétermination. Nous ne sommes qu’au tout début de l’aventure.
Martin Caouette, professeur au Département de psychoéducation de l’Université du Québec à Trois-Rivières.
  • La « liminalité », concept développé par le philosophe Bertrand Quentin (fait de laisser les personnes en situation de handicap « sur le seuil » de la société, ni tout à fait dehors, ni tout à fait dedans), apporte une perspective vertigineuse sur la place que nous proposons, en tant que société, au handicap : dehors, cas le plus fréquent dans les siècles précédents. Sur le seuil, à chaque fois que nous créons une structure spécialement dédiée. Dedans, lorsque la place de chacun est l’affaire de tous.
    Concrètement : dehors, l’enfant qui n’a aucune solution (cas très fréquent aujourd’hui encore pour les familles éloignées des grands centres urbains) ; sur le seuil, l’enfant accueilli dans une structure spécialisée (pris en charge par la société, certes, mais pas dans la société) ; dedans, l’enfant accueilli avec les autres, dans les structures dites « de droit commun ».
Bertrand Quentin, agrégé et docteur en philosophie.

Subtil, oui. Pas aussi simple dans la réalité que sur le papier, oui oui. Mais dès lors que ces sujets existent, que ces questions se posent, il n’est plus possible de construire quoi que ce soit « comme avant ». C’est ainsi que petit à petit, de manière imperceptible sur le temps court, mais remarquable avec le recul des années, les tournants se prennent.

Et tout commence par… le commencement :
les premières années.

Ici les articles des précédentes revues dans lesquels nous abordons le sujet des modes de garde :

Prochain article : Acceptation ?

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