Épisode 3, la revue numérique. Le choc du diagnostic, le deuil de l’enfant rêvé, les différentes étapes vers l’acceptation (ou non…) de la maladie et du handicap, nous en avons déjà parlé à travers l’éclairage de psychologues (voir les articles rassemblés au bas de cette page). Cette année, nous faisons appel à un regard complémentaire : celui de l’équipe d’aumônerie du GHE (Groupement Hospitalier Est) à Lyon.

Pourquoi l’équipe de l’aumônerie ?

Le terme « aumônerie » fait penser à religion bien sûr, c’est d’ailleurs là sa fonction première : « représentants des cultes ». C’est aussi bien autre chose. Nous avons rencontré l’équipe du GHE en 2018-2019, l’année que nous avons passée à l’hôpital avec Piwi Cœur, sans cesse bringuebalés par les cahots de l’ascenseur émotionnel. Un jour, une dame est passée, s’est présentée, a su trouver les mots justes pour nous faire lever les yeux du berceau. Elle s’est intéressée à nous, à notre famille, à cet enfant maintenu par des fils et des tuyaux dans un entre-deux qui n’était ni vraiment la vie, ni vraiment la mort… Et puis elle est partie en nous disant que ses coordonnées étaient affichés dans la salle d’attente et que nous pouvions faire appel à elle si nous en ressentions le besoin. « Besoin ? De quoi au juste ? »
Régulièrement, cette personne repassait dans le service. Une fois par semaine. Elle venait bavarder un moment avec nous. De Piwi Cœur certes, mais aussi de ses frères et sœurs, de ses grands parents, de notre travail, de nous, de tout, de rien… Que nous soyons au sommet d’une vague, au fond d’un creux, épuisés de cette succession infernale de vagues et de creux, confiants ou en plein doute, apaisés ou en colère, forts ou faibles, nous pouvions parler avec elle. Elle n’était pas là pour nous « prendre en charge », elle n’était pas là pour avoir un avis ou nous donner des conseils, non. Elle était là pour… « être là »… tout simplement.

L’équipe de l’aumônerie rend visite aux familles qui le souhaitent, dans les services qui le souhaitent. Elle est la discrète dépositaire de tout ce qui se passe dans la tête des patients et de leurs proches. Nous avons eu la chance avec Agapanthe d’accéder à ce trésor et nous le partageons aujourd’hui avec vous.

Les aventures de Piwi Cœur, épisode 1. « Pas le bébé que j’aurais voulu dessiner ».

Marion Curtillet : Vous voyez les familles évoluer dans le temps par rapport à la maladie/au handicap. Les étapes vers l’acceptation sont-elles les mêmes pour toutes ?

L’équipe de l’aumônerie : C’est une question à laquelle il est difficile de répondre, chacun réagit à sa façon. Mais le point commun à tous est quand même la première étape, la sidération. Lorsque le diagnostic tombe, il y a ce « truc » difficile à entendre, à réaliser, qui engloutit, que ce soit avant ou après la naissance. On ne peut pas mettre de mots dessus.
On sait qu’on est passé à l’étape suivante quand on peut parler, raconter, mettre des mots sur ce que l’on vit. Verbaliser permet de s’approprier la réalité. Comme si on « digérait par les mots ».
Notre rôle à nous n’est pas de chercher à savoir, juste recevoir ce que les personnes ont à nous dire. Certaines nous parlent de la maladie, d’autres au contraire de tout sauf la maladie.
Nous sommes parfois amenées aussi à faire des ponts entre les familles et les soignants.

Marion Curtillet : Remarquez-vous des « typologies » dans les façons de réagir, d’accepter ?

L’équipe de l’aumônerie : Les familles vivent les choses très différemment, on ne peut pas parler de « typologie ». Mais si par exemple, il y a des frères et sœurs, les parents sont dans : « là-bas la vie continue, ici elle s’est arrêtée ». Quand les parents sont soutenus, ont des personnes ressources à la maison, cela se sent. La place de la religion dans leur vie fait aussi une grande différence dans la façon de recevoir les choses et ce, quelle que soit la religion. Ce qui se passe entre les deux parents joue aussi beaucoup. Il y a souvent des différences importantes, chacun est dans sa vision. Ils ne reçoivent pas les choses de la même façon. Il arrive même qu’ils n’entendent pas les mêmes choses ! Ils peuvent nous faire un retour sur un entretien qu’ils ont eu ensemble avec un médecin, et n’avoir pas du tout, du tout, entendu la même chose l’un et l’autre.
C’est une épreuve très difficile pour un couple, et l’acceptation dépend aussi de comment l’un, l’autre, et les deux ensemble la traversent.

Les aventures de Piwi Cœur, épisode 1. Les premiers jours.

Marion Curtillet : Comment définiriez-vous l’acceptation ?

L’équipe de l’aumônerie : Nous ne pouvons parler que de ce qui se passe ici, à l’hôpital. Ici, on pourrait dire qu’une famille a « accepté » quand elle parvient à vivre au jour le jour, à ne plus avoir besoin de savoir ce que sera demain, après-demain, l’année prochaine. Accepter, c’est réussir à ne plus se projeter. Après, l’acceptation peut être là aujourd’hui mais est-elle là définitivement ? Des équilibres précaires s’instaurent et sont en permanence à reconstruire.

Marion Curtillet : Et la colère ? Où la situez-vous ? Que pouvez-vous nous en dire ?

L’équipe de l’aumônerie : Nous la rencontrons très souvent, oui. On a le droit d’être en colère face à l’injustice de la maladie, c’est même sain. Elle peut être orientée vers les soignants et c’est un risque qui grandit avec la durée d’hospitalisation qui s’allonge. La relation avec les soignants peut se dégrader avec le temps. Ça n’est pas systématique mais ça peut arriver.
Elle peut être aussi orientée contre cet enfant qui n’est pas conforme à nos attentes. C’est une colère qu’on peut difficilement s’autoriser. Elle devient alors colère contre soi-même : « Je ne suis pas à la hauteur ».

Nous sommes souvent les récepteurs de cette colère et nous n’hésitons pas à dire aux parents : « Oui, vous avez le droit d’être en colère. »

Marion Curtillet : Et l’amour ?

L’équipe de l’aumônerie : Le but, c’est de parvenir à l’amour inconditionnel. L’attachement n’est pas forcément naturel et il faut parfois du temps. Là encore, c’est complexe car il y a beaucoup de cas de figure : l’amour et la colère peuvent cohabiter, il peut n’y avoir que de la colère. Souvent à la difficulté d’aimer s’associe la culpabilité.
Sur ce point-là aussi, la place de la religion – quelle qu’elle soit – dans la vie des personnes fait une grande différence.

Les aventures de Piwi Cœur. Épisode 1. La bonne fée.

Marion Curtillet : Les personnes, patient ou famille, ont-elles besoin de donner un sens à ce qui leur arrive ?

L’équipe de l’aumônerie : Là encore, chacun fait selon ses ressources. Certains ont leur croyance qui leur sert de béquilles, d’autres qui n’en ont pas vont se tourner vers le religieux à ce moment-là, d’autres encore vont agir car être dans l’action évite de tourner en rond.

La maladie et le handicap touchent l’image que l’on a de soi-même, on en prend pour nombre d’années, pour toute la vie parfois. Les parents devront le porter, la fratrie aussi. Personne ne réagit de la même manière.

Marion Curtillet : Êtes-vous formées pour accompagner les familles sur le chemin de l’acceptation ?

L’équipe de l’aumônerie : Oui, des formations auxquelles participent des médecins, des psychologues, des associations de parents, de grands parents.
Les situations sont très diverses mais l‘acceptation dépend beaucoup de l’accueil qui est fait par la famille (fratrie, grands-parents) et aussi les amis. L’attitude de l’entourage compte pour beaucoup. Si le handicap est nié, cela peut entrainer des fermetures.

Pour la petite histoire…

Nous avons été reçues dans le bureau de l’aumônerie à l’HFME par Chantal et Sandrine, salariées des HCL (Hospices Civils de Lyon) et Danièle, bénévole.
« Salariées des HCL ? C’est-à-dire ? »
Chantal nous explique qu’au moment de la séparation de l’Église et de l’État, en 1905, a été signé un accord selon lequel « Chacun doit pouvoir avoir accès à son culte dans les lieux d’enfermement (prisons, hôpitaux, pensionnats…) ». Ce fut l’origine des aumôniers, au début des religieux et maintenant des laïcs envoyés par leur diocèse et agents de l’État.

Prochain article : Piwi Cœur, un enfant « comme les autres » ?

2 Comments

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *