Épisode 3, la revue numérique. Piwi Cœur et ses troubles de l’oralité, toute une histoire ! Entretien avec le professeur Tauber et le docteur Diene du centre de référence pour le syndrome de Prader-Willi (Toulouse) qui nous donnent les grandes étapes des premières années pour les porteurs du syndrome.

Petit jeu de LA grande différence…

Piwi Cœur à 2 ans et à 3 ans.

Oui, bravo, vous avez trouvé : la sonde naso-gastrique ! Elle a disparu. Vous en déduisez donc que Piwi Cœur mange par la bouche, comme tout le monde, n’est-ce pas ? Clac ! Vous voici pris au piège d’une illusion d’optique, trompés par un handicap devenu invisible : eh non, Piwi Cœur ne mange toujours pas avec sa bouche. La sonde a simplement été déplacée du nez, à l’estomac. Il est nourri par ce que l’on appelle une « gastrostomie ».

Voici comment cela se passe au quotidien :

Pour les informations précises et médicales, nous vous invitons à consulter ce site internet, les vidéos s’adressent aux adultes, mais elles sont bien faites.

De notre côté, nous voulions surtout profiter de cette particularité de Piwi Cœur pour vous parler de ce qui devrait normalement se passer s’il était un représentant plus « dans le norme » du syndrome de Prader-Willi.

« Dans la norme » ? C’est-à-dire ?

Entretien avec le professeur Tauber et le docteur Diene,
du centre de référence pour le syndrome de Prader-Willi à Toulouse.

Marion Curtillet : Les difficultés d’alimentation à la naissance sont un des marqueurs du syndrome de Prader-Willi. Existe-t-il des données chiffrées sur ce sujet ?

Docteur Diene : 80 % des enfants porteurs du syndrome sont nourris par sonde naso-gastrique à la naissance. Ils la gardent en moyenne pendant deux mois, parfois moins, parfois plus, souvent jusqu’à la diversification, plus rarement jusqu’à un an.

Professeur Tauber : Ici on parle du retrait de la sonde, mais ce n’est pas parce qu’on enlève la sonde, que la situation est normalisée. Nous évaluons le bénéfice/risque, entre la quantité de nourriture que l’enfant est capable d’avaler – qui doit être suffisante – et le risque de fausse route. L’accompagnement des familles est essentiel à ce stade, il faut connaître certaines techniques qui vont faciliter la prise des biberons ou des cuillers, il faut avoir conscience du temps nécessaire pour franchir certaines étapes.

Docteur Diene : Pour les nourrissons, on différencie bien succion et déglutition. C’est-à-dire qu’on peut nourrir un enfant même s’il n’a pas la succion. Avec une cuiller par exemple. Ou à la tasse. Même avant la diversification.

Professeur Tauber : Comme un petit chaton, oui. On utilise des moyens pour « squeezer » la succion, qui demande un gros effort.

Marion Curtillet : Que sait-on de ces difficultés disons… « de démarrage » ?

Professeur Tauber : Les enfants naissent en général avec ce qu’on appelle le « réflexe de succion-déglutition », qui va petit à petit se transformer, dans le cours du développement, pour arriver à une succion dite « volontaire ». Chez la plupart des porteurs du syndrome, ce réflexe est absent à la naissance et la mise en place de la succion-déglutition doit se faire d’une manière différente, beaucoup plus longue, plus difficile. Nous savons d’ailleurs depuis tout récemment que ces troubles de la déglutition restent présents chez les porteurs du syndrome tout au long de leur vie, quel que soit leur âge. Ils dépassent la sphère ORL : les personnes arrivent à manger, certes, mais la déglutition, elle, n’est jamais normale. Ça se passe au niveau de l’œsophage, du « transit œsophagien ».

Marion Curtillet : Ces troubles de l’oralité à la naissance ont-ils des répercussions au-delà de l’alimentation ? Est-ce notamment parce qu’ils n’arrivent pas à manger au départ, que les porteurs du syndrome de Prader-Willi ont souvent des difficultés pour parler ensuite ?

Professeur Tauber : Le lien n’est pas direct, non. Mais c’est la même cause, au niveau central, neurologique, qui explique les difficultés à la fois de déglutition et de langage. La rééducation est fondamentale pour l’acquisition du langage. On entraîne les muscles. C’est difficile, il faut du temps, mais on sait faire.

Marion Curtillet : Les difficultés d’alimentation à la naissance existent-elles dans d’autres syndromes ?

Docteur Diene : Bien sûr, oui. C’est une manifestation très fréquente d’un trouble du neurodéveloppement.

Professeur Tauber : 80 % oui. 80 % des enfants avec troubles du neurodéveloppement ont une dysphagie (trouble de la déglutition). Les causes sont différentes selon les pathologies. Dans le cas du syndrome de Prader-Willi, c’est un dysfonctionnement spécifique de l’hypothalamus.

Marion Curtillet : Depuis quand existe la sonde naso-gastrique ? Depuis quand sait-on nourrir artificiellement les nourrissons ?

Docteur Diene : Ce sont deux questions différentes car il est possible de nourrir artificiellement les nourrissons autrement que par la sonde naso-gastrique telle qu’on la connaît aujourd’hui, qui elle existe depuis 1965. (Avec la pompe régulatrice de débit. Avant 1965, on utilisait des seringues).

Professeur Tauber : La technique est connue depuis très longtemps, depuis le Moyen-Âge même, d’après des tableaux. Mais utilisée pour la médecine, ça, je ne sais pas. Plus récemment, on voit, toujours sur des tableaux, des personnes nourries avec la seringue directement placée dans le fond de la gorge. Après, on a ajouté un petit tuyau au bout, mais qui n’allait pas jusqu’à l’estomac et qu’on ne laissait pas en place.

Marion Curtillet : Si Piwi Cœur était un représentant « dans la norme » du syndrome de Prader-Willi, à trois ans, comment « devrait-il être » ?

Professeur Tauber : À trois ans, les enfants mangent, c’est certain, même s’ils ont, comme je l’ai dit, toujours des troubles de la déglutition.

Docteur Diene : On le voit clairement sur les radios, ils ont toujours du mal, leur œsophage se distend, ils ont souvent des remontées, qui peuvent mener à des œsophagites. On s’intéresse de plus en plus à ces troubles qui perdurent dans le temps.

Marion Curtillet : Mais ils ne sont pas encore dans la phase « hyperphagique » (absence de satiété) et les troubles du comportement qui l’accompagnent ?

Professeur Tauber : Pas encore, non, elle arrive en général (pas toujours) un peu plus tard. Avec la prise en charge actuelle, après 4 ans. En revanche, ils peuvent déjà prendre du poids. C’est là qu’il faut commencer à être vigilant et prêter attention aux quantités.

Marion Curtillet : « Avec la prise en charge actuelle » ? Que voulez-vous dire ? Qu’est-ce qui a changé ?

Professeur Tauber : Auparavant, l’hyperphagie arrivait plus tôt. Aujourd’hui, les parents le savent et ça change beaucoup de choses.

Docteur Diene : Ils donnent dès le départ une alimentation adaptée, équilibrée, en respectant le rythme des repas.

Professeur Tauber : Tout ce que devraient faire les enfants, porteurs du syndrome ou pas, avant quatre ans ! Il faut bien garder en tête qu’il y a autant de différences entre deux porteurs du syndrome de Prader-Willi qu’entre vous et moi. Il n’y a pas deux cas identiques. Les troubles sont plus ou moins marqués, plus ou moins handicapants, arrivent plus ou moins vite, peuvent même ne pas arriver du tout, selon l’enfant lui-même, son environnement familial, et de nombreux autres facteurs.

Marion Curtillet : Et Piwi Cœur en est une excellente illustration

Toutes les informations sur le syndrome de Prader-Willi et en particulier les troubles de l’oralité sont accessibles sur le site du centre de référence (CHU Toulouse)

Et dans la famille de Piwi Cœur alors ? Comment vit-on tout cela ?

On essaye au maximum de ne pas nous projeter sur Piwi Cœur, de ne pas faire ce que Bertrand Quentin appelle de « l’empathie égocentrée ». Nous observons notre enfant avec le plus d’objectivité possible. Souffre-t-il de sa gastrostomie ? Non. Alors, nous n’avons pas à en souffrir pour lui. Après, les trois séances d’orthophonie par semaine et toutes les contraintes de logistique qui accompagnent les troubles de l’oralité et une gastrostomie, c’est un autre problème. Un problème qui regarde les parents. Qui fatigue les parents. Qui culpabilise les parents. Qui fait douter les parents.

Dans l’épisode 2, souvenez-vous : nous n’avions même pas pensé à en parler, tellement cela passait au second plan pour nous par rapport à tout ce que nous vivions avec cet enfant qui s’ouvrait peu à peu sur le monde. Dans l’épisode 3, nous en avons parlé de cette façon :

En parlerons-nous dans l’épisode 4 ? De quelle manière ? Nous ne pouvons pas encore le dire. Nous ne savons pas comment sera Piwi Cœur, comment nous serons, nous, dans quelques mois.
C’est tout l’intérêt du témoignage « à chaud ».

La longue et riche histoire de Piwi Cœur et l’orthophonie, par ici :

Prochain article : Grandir avec un cœur « réparé ».

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