Un travail d’équipe (2). Témoignage, par Marion Curtillet.

Ces lignes sont les plus difficiles à écrire pour moi… Probablement parce qu’à l’heure où je les écris, la situation n’a toujours pas évolué… Dix-huit mois que Piwi Cœur est alimenté à 100% par une sonde naso-gastrique, ce tuyau que vous lui voyez dans le nez et qui arrive directement dans son estomac. Normal pour un bébé porteur du syndrome de Prader-Willi ? Oui… et non. En effet, ces derniers commencent souvent leur vie en mangeant par le nez, du fait de leur hypotonie. Mais quelques mois… pas dix-huit !!!

Photo : Les aventures de Piwi Cœur.

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Pendant les premiers mois, en réanimation, les équipes étaient parfaitement conscientes du problème à venir. Elles faisaient des massages bien spécifiques à Piwi Cœur pour que son cerveau n’oublie pas qu’à cet endroit de son corps se trouvait « une bouche ». Nous, les parents, suivions un peu distraitement. On nous avait bien expliqué, si si ! Mais notre enfant était entre la vie et la mort. Son sort dépendait d’une opération dont on ne savait pas si elle pourrait avoir lieu, et si elle avait lieu, s’il pourrait s’en remettre. Alors bon… Ce tuyau dans le nez, pour nous, c’était un tuyau parmi tant d’autres. Et le pousse-seringue du lait, un pousse-seringue parmi tant d’autres. Moins vital que les autres presque…

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Quand il est sorti la première fois de l’hôpital, il avait deux mois et demi, et l’état d’esprit dans lequel nous étions alors était : « Il faut qu’il connaisse sa maison avant de partir rejoindre les anges dans le ciel »… L’HAD, moins pessimiste que nous sans doute, avait organisé son suivi par une orthophoniste et nous continuions de faire plusieurs fois par jour les massages que nous avions appris à l’hôpital. Mais nous n’étions pas dans des dispositions propices : Piwi Cœur était encore trop fragile, les séjours à l’hôpital trop réguliers. Et en plus, une deuxième opération du cœur « roulette russe » l’attendait…

Alors oui, nous faisions sagement ce qui nous était demandé. Mais par devoir. Sans intérêt et sans conviction. Notre priorité était toujours ailleurs : profiter de chaque moment de vie de cet enfant, et lui faire profiter à lui de tout ce qu’il pouvait ressentir, les câlins, les rires de ses frères et sœurs, la musique, la douceur de l’air, la chaleur du soleil… Chaque journée passée avec lui était pour nous un cadeau extraordinaire, une chance inouïe qui nous était donnée et dont nous devions profiter.

Il n’y eut strictement aucun progrès sur le plan de l’oralité pendant tout ce temps.

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Photo : Les aventures de Piwi Cœur.

Et puis, la deuxième opération du cœur est arrivée. Piwi Cœur s’en est remis ! Nous sommes rentrés à la maison cette fois-ci dans des dispositions bien différentes : il allait vivre maintenant ! La question de l’alimentation est passée de l’arrière au premier plan. Nous nous sommes mobilisés avec beaucoup plus d’engagement. Des résultats ? Toujours pas… Mais nous étions prévenus : ce serait long et difficile. Comme pour tout le reste.

Sauf que pour « tout le reste », il a commencé à faire quelques petits progrès. Et les petits progrès, aussi insignifiants soient-ils, entretiennent la flamme. Ils permettent d’y croire, d’aller chercher la marche suivante. Sans eux, les jours se suivent et se ressemblent, répétition quotidienne des mêmes échecs. Le temps devient transparent, comme un grand désert tout plat. A perte de vue, aucun relief auquel s’accrocher, sur lequel s’appuyer, grâce auquel s’orienter. Devant, derrière. Partout le même néant.

Comme le relief n’émergeait pas de Piwi Cœur lui-même, nous avons saisit quelques occasions spéciales pour en créer nous-mêmes artificiellement : la fin d’année par exemple. « Allez ! On dit cinq cuillères pour la nouvelle année ! Go go go ! » Alors hop, la motivation reprend pour un mois. Et puis, confrontée au froid de l’échec, elle retombe. Comme un soufflé. Et de nouveau, retour à la case départ, au beau milieu du désert.

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Photo : Les aventures de Piwi Cœur

Quand il n’y a vraiment aucun progrès, le désespoir finit par l’emporter : « Il ne mangera jamais ». Et puis la fatalité : « Bon… C’est comme ça… ». Et pour finir, malgré tous les efforts des professionnels pour que cela n’arrive pas, la culpabilité : « Si nous y avions cru dés le départ… » « Si nous avions fait plus ceci, plus cela… » « Si nous avions réussi à nous motiver malgré les échecs… » Autrement dit : « S’il était tombé sur des bons parents… ».

Heureusement, depuis son arrivée dans notre famille, Piwi Cœur a fait de nous des maîtres dans l’évacuation de tout ce qui ne sert à rien. Vouloir que les choses soient autrement que comme elles sont, ça ne sert à rien. On évacue. Désespérer, ça ne sert à rien. On évacue. Se sentir coupable, ça ne sert à rien. On évacue.

Aimer. Aimer, ça sert. Alors, nous aimons. Et les jours passent.  

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