Communiquer autrement ? Le bébé signe. Témoignage. Par Marion Curtillet.
Quand vous nous voyez utiliser les signes avec Piwi Cœur, vous nous dites : « Oh ! Vous signez ? C’est génial ! LSF ? Makaton ? » Tout de suite, le rouge me monte aux joues et je ressens le besoin de me justifier : « Non non, surtout pas ! Ni l’un ni l’autre ! » Je voudrais même aller plus loin : « Des signes ? Où ça, des signes ? »
Pourquoi cette réticence ? Parce que j’ai eu des enfants avant Piwi Cœur, de 2009 à 2018. Et je l’ai vue arriver, cette tendance, devenue vague, puis quasiment injonction, à utiliser les signes pour communiquer avec nos bébés. Et je l’ai immédiatement associée à cette « mode du parent parfait », contre laquelle je construis des murs de défense infranchissables pour protéger ma propre imperfection, dans laquelle je me complais et qui me va si bien.
Une bien mauvaise raison, oui, complètement déraisonnable d’ailleurs, au vu des apports de cette méthode. Mais enfin, c’est ça, l’imperfection…
Et pourtant… avec Piwi Cœur… je les utilise, les signes…
Pourquoi les signes avec Piwi Cœur ?
Dès que le diagnostic est tombé, je me suis renseignée sur le syndrome de Prader-Willi. Les informations concordaient sur le point de la communication : les enfants porteurs du syndrome comprennent vite beaucoup de choses, mais leur hypotonie des premiers mois freine considérablement l’acquisition du langage, voire cumulée avec d’autres facteurs, la rend impossible dans certains cas. Un décalage entre compréhension et expression à l’origine d’une énorme frustration dès les premières années, de grosses colères à l’école, de l’isolement, du rejet même, qui vont avec…
Alors là, si en utilisant les signes, on peut permettre à Piwi Cœur de se faire mieux comprendre, éviter la frustration, limiter les colères, et lui donner une chance de mieux s’intégrer… tout de suite… je signe !
Concrètement, comment ça se passe ?
J’avoue : je n’ai pas suivi de formation… Je signe à ma façon : empirique et… imparfaite.
L’orthophoniste qui suit Piwi Cœur m’a donné les bases, et me nourrit de conseils au fur et à mesure. Nous avançons comme ça petit à petit, au rythme de Piwi Cœur lui-même. Pour vous donner une idée, il a appris assez vite « bonjour », « au revoir », « merci », « encore », « poupée », et « tomber ». C’était en septembre 2020. Puis plus rien jusqu’au printemps suivant : ces quelques mots devaient lui suffire.
En grandissant, il a commencé à s’intéresser plus à ce qui se passait autour de lui. À pointer du doigt les aliments sur la table, les parties de son corps, les arbres, les fleurs. J’ai une application dans mon téléphone qui s’appelle « Dico Elix ». Quand quelque chose intéresse Piwi Cœur (et quand j’y pense, c’est-à-dire pas toujours…), je tape dedans le mot en question. Une vidéo me montre le signe correspondant, que j’essaye au mieux de reproduire.
De son côté, Piwi Cœur s’approprie certains signes. Il ne doit pas avoir suffisamment conscience de son corps pour pouvoir reproduire avec précision, disons qu’il a son propre jargon signé (qui la plupart du temps n’a aucune ressemblance avec le signe initial). Je comprends ce qu’il veut dire parce que je vis avec lui toute la journée. La plupart des gens le comprennent aussi grâce au contexte, et parce que ses besoins et centres d’intérêts restent très limités.
Après, n’est-ce pas ce qui se passe aussi pour un enfant qui apprend à parler avec la bouche ? D’abord, il baragouine, puis plus tard, il affine… Au rythme de Piwi Cœur, la phase « charabia » va durer des années. Pas grave. Il s’exprime. Globalement, on le comprend. C’est l’essentiel.
Le monde autour
Communiquer par les signes, c’est bien, mais si personne ne les utilise en dehors du noyau familial, ça ne résout finalement pas grand chose…
Je suis la seule de la famille à avoir l’application sur mon téléphone. Les autres (le papa, les frères et sœurs, les grands-parents) apprennent en me voyant faire et en imitant Piwi Cœur. Quelqu’un avait dit un jour, au tout début : « On ne va tout de même pas apprendre la langue des signes !!! » Au final, tout le monde apprend, sans s’en rendre compte. La langue des signes au rythme de Piwi Cœur, ça se fait tout seul, naturellement, sans effort particulier.
Pour les professionnels de santé, cela dépend. L’orthophoniste maîtrise le sujet (j’allais dire « bien sûr », mais il semblerait que ce ne soit pas si évident : ce n’est pas inclus systématiquement dans la formation…). La kiné s’occupe exclusivement d’enfants à besoins spécifiques. La plupart utilisant la langue des signes, elle a appris sur le tas les signes les plus courants. Un vrai plus dans le déroulé des séances ! Les médecins et les infirmières sont très rares à les utiliser pour l’instant, ce qui crée un décalage entre eux et les enfants dont ils s’occupent. Un peu dommage de devoir passer par les parents quand l’enfant peut s’exprimer tout seul, non ? C’est une évolution qui va se faire je pense. Là aussi, naturellement.
Les crèches sont de plus en plus nombreuses à utiliser les signes, et ça, quelle bonne nouvelle ! Les écoles maternelles semblent s’y mettre aussi. C’est tout un mouvement qui est en marche. Un mouvement porteur de grands espoirs pour un monde toujours plus inclusif !
Alors ? Les signes ?
Pouvoir s’exprimer ou ne pas pouvoir s’exprimer, ça change complètement une trajectoire de vie. On avait tendance auparavant à résumer la communication à la parole. Depuis qu’on l’ouvre aux signes, aux pictogrammes, aux ordinateurs à reconnaissance oculaire même (voir l’exemple ici de « l’aventurier Coconut », un ami de Piwi Cœur), un enfant comme un adulte peut être « non verbal », mais pas mutique pour autant !
Je vous invite à réécouter ici l’éclairage de Marie Terrier, orthophoniste à Rouen. La détermination et l’énergie qu’elle met à fissurer les murs, même les plus épais…
Et je conclurai en laissant la parole à Bip Bop, le Scope. Une parole qu’il tient de Géraldine Clément, l’orthophoniste de Piwi Cœur : « Personne n’imaginait que je puisse vouloir parler ! Du coup, à quoi bon ? Ça n’avait aucune chance de marcher ».