Épisode 3, la revue numérique. Entretien avec le docteur Rondeau, pédiatre du C.A.M.S.P du CHU de Rouen, où nous nous sommes rendus en mai à l’occasion de notre tournée dans le nord et l’ouest.

Piwi Cœur est suivi depuis sa naissance. Kiné, orthophonie, orthoptie, psychomotricité, ergothérapie… C’est le cas de nombreux enfants en situation de handicap. Les mois, les années passent. Les progrès sont lents, très lents – trop lents ? Les habitudes s’installent aussi, au sein de la famille. Une certaine forme d’acceptation de la vie avec le handicap, de l’enfant « comme il est ». Alors, quid de toutes ces prises en charge sur le temps long ?

Marion Curtillet : Les parents d’enfants de 3 ans diagnostiqués et pris en charge depuis la naissance arrivent-ils encore à se mobiliser ? Quelles sont les difficultés qui apparaissent avec le temps qui passe ?

Docteur Rondeau : Bien sûr, il y a risque important de lassitude/découragement devant les progrès qu’on aimerait plus rapides et l’écart au développement classique des enfants du même âge qui se creuse. Certains parents découvrent que cet écart est manifeste en rentrant à l’école, tandis que d’autres se réjouissent des progrès qu’ils n’auraient pas espéré aussi rapides. Dans le cadre du CAMSP du CHU de Rouen, qui assure le suivi jusqu’aux 3 ans de l’enfant, le relais par un SESSAD peut être l’occasion de se remobiliser et de se fixer de nouveaux objectifs. L’entrée à l’école est aussi l’occasion de nouveaux challenges pour l’enfant et ses parents, ce qui demande aussi toujours beaucoup d’énergie bien sûr.

Marion Curtillet : Avez-vous des stratégies pour entretenir la motivation sur le temps long ?

Docteur Rondeau : Je pense que revoir régulièrement avec les professionnels qui suivent l’enfant quels sont les objectifs est important. Se fixer des objectifs atteignables à court ou moyen terme permet de constater les progrès et de tenir le cap. Il est important que les objectifs soient aussi partagés entre les parents et les rééducateurs.
Aborder les rééducations de manière ludique permet aussi de partager des temps de plaisir avec son enfant tout en gardant en tête les objectifs de progression sur le plan de l’autonomie. Ainsi des activités de sport adapté, d’équithérapie, de kiné en piscine par exemple, peuvent permettre de partager de bons moments avec son enfant sans le surmener et en poursuivant les progrès sur le plan psychomoteur.

Marion Curtillet : La kiné de Piwi Cœur expliquait, dans la revue numérique de l’épisode 1, que son travail consistait à aller chercher pour chaque enfant « la plus grande autonomie possible ». Est-ce toujours simple pour l’équipe de professionnels, avec le temps qui passe et si peu de visibilité sur le futur, de déterminer ce qui est/sera « possible » ? De placer le curseur au bon endroit entre résignation / persévérance / obstination ?

Docteur Rondeau : Je suis tout à fait d’accord avec cette idée de permettre à l’enfant de s’épanouir en développant au mieux son potentiel pour un maximum d’autonomie. Dans le cadre d’une pathologie génétique comme le syndrome de Prader Willi, on sait que le développement sera contraint, mais comme dans la population générale, l’éventail des possibilités reste large et les personnalités de chacun sont aussi individuelles et à découvrir. Les parents savent bien en général faire découvrir aux professionnels les facettes des personnalités de leur enfant, ce qui permet de ne pas rester collés à l’accompagnement d’un syndrome, mais d’un enfant.

Ne pas rester collés à l’accompagnement d’un syndrome, mais d’un enfant.

Docteur Rondeau, pédiatre au CHU de Rouen

Marion Curtillet : Et les parents ? Placent-ils en général ce curseur au même endroit que les professionnels ? Ce sujet peut-il être source de tension entre vous et les familles ? À l’intérieur des familles également (entre les deux parents par exemple) ?

Docteur Rondeau : Non, bien sûr, parents et professionnels ont chacun leur point de vue de la place qui est la leur, et c’est tant mieux. Parfois ce sont les parents qui font découvrir aux professionnels des facettes ou ressources cachées de leur enfant. Parfois c’est aussi aux professionnels de pointer et mettre en valeur les émergences de l’enfant sur le plan du développement quand les parents ont une vision trop noire ou figée de la situation. C’est vrai notamment pour les émergences de communication qui ne sont pas toujours perçues par les parents au départ. Ces sujets peuvent être une source d’incompréhension parfois, mais rarement de tension, car même si les avis peuvent différer entre professionnels et parents, les soignants et rééducateurs sont avant tout au service de l’enfant, ce qui passe par une bonne alliance avec ses parents. Même si nous aurions parfois une idée toute tracée de l’orientation ou des propositions de rééducation idéales pour l’enfant à un instant T, il arrive fréquemment que nous nous adaptions au rythme des parents et qu’ils sortent de consultation avec un projet différent de celui pensé par le médecin au départ.

Marion Curtillet : « Maladie des villes, maladie des champs ». Au CAMSP, vous suivez des enfants de toute la région de Rouen. L’accès aux prises en charge est certainement plus difficile lorsqu’on habite loin d’un grand CHU ? Dans quelle mesure arrivez-vous — notre système de santé arrive-t-il — à limiter les inégalités qui pourraient en découler ?

Docteur Rondeau : C’est un vrai sujet car il est clair qu’en fonction du lieu d’habitation les propositions de soins ne peuvent être les mêmes. En revanche, on a parfois la belle surprise de découvrir qu’un SESSAD est présent dans un coin de campagne sans professionnels libéraux par exemple. Certains parents nous font aussi découvrir des réseaux de soins ou de belles associations qui permettent de pallier en partie aux inégalités d’accès aux soins.

Les prises en charge sont très importantes dans la vie de Piwi Cœur et de sa famille. C’est le sujet qui revient le plus régulièrement dans les albums et les revues numériques.

Prochain article : l’alimentation et les troubles de l’oralité.

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