Un travail d’équipe (2). Eclairage en deux parties (partie 1 : « Apprendre à manger : pas si simple ! »), par Géraldine Clément, orthophoniste.

Photo : Les aventures de Piwi Cœur.

Marion Curtillet : Votre mission en tant qu’orthophoniste dans un cas comme celui de Piwi Coeur consiste donc à apprendre à travailler à des muscles en grande partie inaccessibles, des nerfs et un cerveau ? Comment faites-vous ? 

Géraldine Clément : L’objectif est effectivement de stimuler les muscles et les sens, les messages envoyés et reçus par le cerveau via les nerfs. Les séances ont également pour but de réorganiser le système nerveux pour que le corps entier trouve un équilibre et rende disponibles et efficaces les fonctions buccales. Le patient est pris autant que possible dans sa globalité, il ne vient pas au cabinet juste avec sa bouche, mais avec un corps entier, une histoire, des émotions, etc.

Avec Piwi Cœur, nous utilisons la méthode Padovan, ou réorganisation neuro-fonctionnelle, qui consiste à reprendre les mouvements du développement global afin de repasser par les zones neuronales activées au moment de ces étapes. Cela intègre aussi bien sûr un travail plus spécifique sur les mouvements neuro-évolutifs de la bouche.

« Dédramatiser le rapport à la nourriture »

L’enfant est dans le ressenti, je  guide ses mouvements avec mes mains et avec ma voix en accompagnant de comptines. 
Nous proposons également des massages de désensibilisation au niveau du visage et de la bouche que les parents peuvent reprendre à la maison.
Un temps est ensuite consacré directement à l’alimentation. Les parents apportent de quoi faire des essais alimentaires. C’est ici l’occasion de conseiller concrètement les parents pour les prochains repas à la maison en fonction de l’évolution de l’enfant.
Lorsque cela est possible, nous mettons en place des ateliers “patouille” pour stimuler tous les sens et dédramatiser le rapport à la nourriture. L’enfant est invité à sentir, toucher, observer, écouter et pourquoi pas… goûter diverses textures, divers goûts.

C’est la répétition et la régularité de toutes ces stimulations qui permettent au corps de progresser dans sa capacité à manger.

Photo : les aventures de Piwi Cœur.

Marion Curtillet : Et les parents ? Ont-ils aussi un rôle à jouer ?

Géraldine Clément : Oui, les parents ont un rôle central, indispensable. Ce sont eux qui connaissent le mieux leur enfant. Ils ont tendance à ne plus se faire confiance et pourtant, leurs intuitions sont souvent les bonnes
Les séances commencent toujours par un temps d’échange avec les parents sur les événements des jours précédents. Les observations, les tâtonnements, les réussites et les échecs dont ils vont me parler m’apportent des informations pour ajuster la rééducation.

La très grande part des repas se fait généralement avec les parents à la maison. Il est donc nécessaire que ces derniers connaissent les postures qui facilitent et sécurisent le repas, les gestes pour aider la succion ou la déglutition, les attitudes facilitantes. Si tout cela n’est pas du tout repris par les parents, nous pouvons bien essayer d’avancer pendant une séance, nous n’irons jamais bien loin.

Mais il est tout aussi important que les parents conservent leur rôle de parents. Ils ne sont pas orthophonistes ! Réaliser des massages chaque jour, guider son enfant pendant le repas, etc., cela peut-être laborieux et difficile à mettre en place au quotidien. Il n’est pas question que les parents culpabilisent s’ils n’ont pas réussi à suivre les recommandations.

A nous de les accompagner pour trouver un équilibre qui convienne à tous.

Ce qui passe dans le tuyau…

Marion Curtillet : Si on prend l’exemple du syndrome de Prader Willi, les bébés peuvent être alimentés par sonde pendant des mois, voire pour les cas les plus extrêmes, des années. Arrivez-vous à maintenir l’engagement (et le moral) des parents sur un temps si long et avec des progrès si lents ?

Géraldine Clément : Il se joue beaucoup de choses autour de la notion de nourrissage. Pour les parents, moralement, c’est souvent très difficile à vivre, très culpabilisant. Ils arrivent parfois au cabinet avec beaucoup d’espoirs. Or, comme vous le dites, ce type de prise en charge peut être long. Il faut donc veiller dès le départ à informer les parents sur le fait que l’on ne peut pas connaître à l’avance la durée du travail dans lequel on se lance. C’est parfois rapide et parfois long, il y a tellement de facteurs qui interviennent : le degré du handicap, l’histoire de l’enfant, la capacité du corps à intégrer les stimuli, l’implication de la famille, …

Il est aussi important d’accompagner les parents pour que leur regard se dirige vers les progrès, même minimes, de leur enfant car le handicap, les difficultés ou les retards ont tendance à prendre beaucoup de place. 
L’envie d’atteindre un objectif de repas “normal” peut faire perdre de vue toutes les étapes intermédiaires nécessaires. C’est à nous d’expliquer ces étapes  afin d’éviter le découragement. 

Chaque petit pas, chaque avancée est une victoire !

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