Peut-on « s’habituer » ? Témoignage. Par Marion Curtillet.

Photo : Capteur de saturation.

Je me souviens de la première fois que j’ai vu Piwi Cœur branché à un respirateur. C’était en réa au cardio à Lyon. Jusque-là, il avait de l’oxygène dans le nez via ce qu’ils appellent, à l’hôpital, des « lunettes ». Ça n’était pas très impressionnant. Le respirateur par contre… quel choc !

Nous avons demandé aux personnes autorisées à rendre visite à Piwi Cœur en réa (les grands-parents, la bonne fée et les frères et sœurs) de ne plus venir. Nous ne voulions pas leur imposer ce même choc, et puis, nous ne voulions pas qu’elles le voient « dans cet état-là ». Mi-humain, mi-machine… C’était trop. Trop pour nous, trop pour nos proches.
C’était le début. A l’époque, nous nous projetions encore. Nous nous mettions « à sa place ».

*

« Alors, nous nous sommes habitués »

Et puis, le respirateur s’est imposé sur la durée. La longue, très longue durée. Alors, nous nous sommes habitués. Cela ne nous fait plus rien depuis longtemps. Il fait partie du rituel, du décor. Nous n’y pensons plus. Piwi Cœur, lui, n’a pas eu à « s’habituer ». Il est pour ainsi dire né avec ! C’est comme une partie de son corps…
Parfois, des amis viennent à la maison et rentrent dans sa chambre. Nous les prévenons qu’il est branché à cette machine, que cela peut être choquant, mais entre « savoir » et « voir », il y a un fossé… C’est aux efforts qu’ils font pour retenir un « Oh mon dieu ! », pour ne pas détourner les yeux, pour ne pas pleurer parfois, que l’on mesure le chemin que nous avons nous-mêmes parcouru depuis notre première rencontre avec cet appareil…

C’est le cas pour toutes les spécificités que j’appelle « logistiques » de Piwi Cœur. La pompe d’alimentation, la bouteille d’oxygène, les médicaments, le siège ergonomique, la piqûre quotidienne d’hormones de croissance. Les rendez-vous tous les jours chez les professionnels qui s’occupent de lui aussi. Tout ça, nous nous y sommes habitués. La vie de cet enfant est comme ça, notre vie à nous aussi. Différente de celle qu’on aurait imaginé, certes. Différente de celle des autres. Elle demande plus d’efforts, c’est sûr. Mais ça reste « de la logistique ».

C’est très simple, à deux conditions : 1) ne pas nous projeter à la place de notre enfant (regarder si lui est bien, et ne pas nous demander si nous, à sa place, serions bien…), et 2) qu’il vive bien les choses (qu’il ne souffre pas, ne s’agace pas, ne rejette pas tout ou partie de cette « logistique »).

*

« Il y a des exceptions »

Photo : Sonde arrachée.

C’est ce qui se passe la plupart du temps. Mais malheureusement, il y a des exceptions.

En premier lieu, le changement de la sonde naso-gastrique (le tuyau qui rentre par le nez et arrive dans son estomac). Nous devons la remplacer chaque fois qu’il l’arrache, ou systématiquement toutes les trois semaines. Ces moments-là sont un calvaire pour lui. Quelqu’un doit m’aider, lui tenir les bras, les jambes… Je dois souvent m’y reprendre à plusieurs fois car la sonde le fait tousser, je ne sais pas si je suis dans le bon trou, le passage est difficile… C’est le pire moment de la vie de cet enfant…

A égalité avec les séjours en réa, qui démarrent toujours par une prise de sang et la pause d’un cathéter. Ça ne se passe jamais bien. Il y a toujours une infirmière, deux infirmières, trois infirmières qui essayent… On pique les jambes, les bras, la tête… Ça marche un peu, pas assez, il faut recommencer…
Un cauchemar… Un pur cauchemar…

*

La souffrance de notre enfant, non. On ne s’habitue pas. On ne s’habituera jamais… Et aussi rare qu’elle soit, c’est encore trop… La seule perspective d’une future possible souffrance suffit à nous paralyser. Alors ne jamais penser à ce qui nous attend demain, voilà une habitude qui s’est imposée à nous par la force des choses. Et heureusement, car au quotidien, dans l’instant présent, Piwi Cœur… il est bien !!!

6 Comments

  • Hauteclair

    On ne peut pas s habituer a la souffrance de son enfant qu elle soit physique ou psychologique, mais on peut s accrocher a chaque petit pas en avant chaque petit progrès… Soluces pensées a joli Piwi coeur

  • AH

    Je suis heureuse que vous ne soyez pas de marbre face à la souffrance… ce serait inhumain. Je n’ai jamais rencontré Piwi Coeur, pourtant la lecture de cet article m’a mis les larmes aux yeux. Mais Piwi est là, il est vivant et avec vous (et, si j’ai bien suivi, il vit ses premières aventures non médicales !). Il a déjà connu beaucoup plus de souffrance qu’il ne le devrait dans un monde idéal, mais il y aura aussi beaucoup de bonheur… je vous le souhaite de tout coeur !

    • Marion Curtillet

      Merci ! Nous espérons que pour lui aussi, la balance penchera très clairement du côté du bonheur et de la joie de vivre. Comme pour les autres, à la différence près que pour les autres, il n’y a rien de l’autre côté de la balance pour l’instant. Donc c’est assez facile de la faire pencher du bon côté ! 🙂

  • Marie-Hélène LABARRIERE

    Mon Dieu, quelle clairvoyance, quelle énergie, quelle sérénité pragmatique !

    Non, on ne s’habitue jamais à la souffrance des autres et surtout pas à celle des tout-petits…et cette page m’a particulièrement bouleversée, car si nous suivons avec assiduité et admiration les « tribulations » de Piwi Cœur depuis le début, je comprends qu’au jour le jour , ce n’est pas le monde des bisounours pour cette bichette , pourtant si choyée et qui en retour donne tellement d’amour.

    • Marion Curtillet

      Merci pour votre soutien depuis toujours ! Le monde des bisounours, non, pas tout à fait, c’est sûr ! Un monde qui ne peut pas se lire avec les mêmes « lunettes » que le monde « des gens qui vont bien ». Piwi Coeur nous ouvre la porte vers « un autre monde ». Où tout est différent. Un jour, je trouverai des mots pour le décrire, ce monde. J’espère 🙂

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