Un travail d’équipe (2). Eclairage en deux parties (partie 2 : « Apprendre à manger : comment faire ?). Par Géraldine Clément, orthophoniste.
Marion Curtillet : Manger, c’est très simple, ça se fait tout seul non ? Comme respirer ? Comment peut-on ne pas « savoir manger » ?
Géraldine Clément : Ce n’est pas si simple ! L’acte de manger fait intervenir une chaîne physiologique complète. La déglutition à elle seule contient trois phases : la préparation, l’ingestion et la digestion.
La préparation commence avec l’éveil des sens : voir la nourriture, la sentir, découvrir sa texture, la goûter, entendre son bruit une fois en bouche. Chez le tout-petit, ce premier temps buccal fait intervenir les lèvres, qui enserrent le mamelon ou la tétine, et la langue qui se mobilise pour aspirer le lait. Chez le plus grand, la bouche mastique à l’aide des dents et de la langue qui réalise des mouvements latéraux. La salive participe aussi à la préparation de ce que l’on appelle le bol alimentaire (= ce qui va être avalé).
La deuxième phase, l’ingestion, est automatique et réflexe, c’est pourquoi elle nous semble si simple. Et pourtant… Lors de l’ingestion, on observe une succession d’événements : élévation du voile du palais, courte apnée, recul de la langue, péristaltisme (c’est à dire une onde laryngée), abaissement de l’épiglotte, fermeture et ascension du larynx.
Le bol alimentaire est envoyé vers l’œsophage, les voies respiratoires ne sont plus accessibles.
La troisième étape, la digestion, est uniquement réflexe, elle échappe à notre conscience. C’est à ce moment-là que le bol alimentaire arrive dans l’œsophage. La porte d’entrée de l’estomac, le cardia, s’ouvre et la porte de sortie, le pylore, se ferme. L’activité gastrique se déclenche ensuite, ainsi que l’action intestinale.
A cette complexité physiologique s’ajoutent des éléments psychologiques qui jouent un rôle tout aussi fondamental. Pour manger, il faut par exemple accepter le passage d’un élément extérieur vers l’intérieur de notre corps ou encore être capable d’éprouver du plaisir. Le moindre dysfonctionnement organique ou psychogène peut alors perturber cette chaîne et compromettre l’activité de manger.
Dans le cas d’enfants présentant un syndrome de Prader-Willi, c’est surtout l’hypophagie (= le manque d’appétit) qui bloque. Le bébé n’a pas faim, il n’a donc aucune motivation et peu de plaisir à s’alimenter.
De plus, l’hypotonie bucco-faciale peut entraîner des difficultés de succion. Les muscles n’ont pas suffisamment de vigueur pour aspirer le lait au sein ou au biberon et toute la séquence de déglutition est perturbée. Le bébé est sujet à des fausses routes ou des reflux qui entraînent de l’inconfort et peuvent le mettre en danger.
Les difficultés respiratoires ou cardiaques ont également un impact sur la synchronisation déglutition/respiration. Une difficulté supplémentaire qui rend le moment du repas désagréable et si difficile pour ces bébés.
Par ailleurs, lorsque le bébé est hospitalisé, ses expériences sensori-motrices ne peuvent se réaliser correctement, notamment car il explore moins son environnement. C’est pourtant aussi grâce à ces expériences que l’enfant se développe et que les fonctions de la bouche permettant l’acte de manger se mettent en place. Par exemple, en mettant des objets qu’il rencontre autour de lui à la bouche, l’enfant permet aux récepteurs endo-buccaux de gagner en maturité.
Un vécu négatif du corps et de la bouche pendant cette période peut perturber la suite et ajouter un frein supplémentaire au bon développement des capacités permettant de manger.
Enfin, il arrive quelquefois que la sensibilité bucco-faciale du bébé soit perturbée par sa pathologie ou par ces fameux premiers vécus négatifs. On parle alors d’hypersensibilté ou d’hyposensibilité. Dans le premier cas, le moindre contact sensoriel avec la nourriture entraînera des aversions, parfois même des nausées ; dans le second cas, l’enfant restera quasi-insensible aux goûts et aux textures.
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