Quel mode de garde ? Témoignage, par Marion Curtillet, maman de Piwi Cœur.
Piwi Cœur, 2 ans. De plus en plus de tonus, de vie. Après 817 jours jours de fusion complète avec sa mère, même si le petit héros est toujours alimenté par sonde naso-gastrique, le moment ne serait-il pas venu de couper le cordon ? Nous avons essayé. Ça n’a pas fonctionné. Pas tout de suite. Mais cette première expérience nous permet d’autant plus de vous raconter !
Sujet 1 : la santé de l’enfant.
Et oui… C’est la base… Il faut que la santé de l’enfant lui permette de sortir de chez lui et d’être en sécurité là où il va se trouver. Pour Piwi Cœur, la question ne s’est pas du tout posée tout au long de sa première année, qu’il a passée à moitié en réanimation, à moitié hospitalisé à domicile. Trop fragile, une surveillance de tous les instants, 24h/24. L’idée de le faire garder par quelqu’un d’autre ne nous a même pas traversé l’esprit.
Au cours de l’année 2, il a commencé à respirer mieux. Plus il gagnait en tonus, plus l’idée faisait son chemin : et si Piwi Cœur pouvait être gardé ? Nous avions entendu parler de la crèche Pépilou par la maman d’un petit garçon porteur du syndrome de Prader-Willi qui avait passé de très bons moments dans cette structure pendant deux ans. Alors, pourquoi pas ? Arrivée à maturité, l’idée est devenue projet. Objectif. Symbole du passage définitif du côté « VIE ». « Bientôt », la place de Piwi Cœur ne serait plus à la maison, mais dehors, avec d’autres adultes et surtout d’autres enfants !
Au début de l’automne 2020, nous avons pris contact avec la crèche Pépilou. Nous avons démarré une période d’adaptation, qui s’est très bien passée jusqu’à ce que… patatras… la santé, de nouveau : retour par la case réanimation, qui a refroidi tout le monde, les parents et les médecins. La collectivité, il allait falloir attendre encore un peu…
Sujet 2 : la maman
(pardon… le parent qui garde l’enfant).
Nous ne sommes pas tous égaux devant la séparation parent/enfant… Déjà quand l’enfant va bien, c’est une étape qui peut être difficile. Alors quand l’enfant est malade, qu’il a hésité entre la vie et la mort pendant de si longs mois…
Pour vous donner un contexte, personnellement, je suis une maman qui se sépare facilement de ses enfants. Pour les aînés, le sevrage a été dicté par la date de reprise du travail, et sitôt sevrés, ils étaient confiés sans aucune hésitation à leur nounou, la crèche, ou leurs grands-parents, selon les cas.
Pour Piwi Cœur, dès que son état de santé s’est un peu amélioré, dès que nous avons entrevu le bout du tunnel (pour utiliser l’expression consacrée), j’ai été saisie d’une angoisse incontrôlable : « Cela fait si longtemps que nous sommes fusionnés tous les deux, nous avons vécu ensemble de tels chocs, nous sommes attachés par des liens si puissants… Vais-je être capable de couper le cordon ? » J’avais très peur de cela. De l’empêcher, moi, de respirer, alors même que ses poumons commençaient à fonctionner…
Ce sont ces moments d’angoisse que j’ai voulu exprimer dans le texte de l’album. Tournés en dérision, cela donne la maman qui se confie à Bip Bop le Scope transformé en psychologue pour l’occasion !
La répulsion pour cet extrême-là m’a entraînée vers un autre : je me suis forcée à confier Piwi Cœur à d’autres personnes chaque fois que c’était possible. J’ai commencé par ses frères et sœurs. Ils étaient ceux qui connaissaient le mieux le « sujet ». Ils savaient se servir des appareils, étaient habitués à certaines situations, n’allaient pas se trouver désemparés. Pour eux, c’était même très naturel. Mais pour moi… Arriver à sortir de l’appartement, claquer la porte, prendre l’ascenseur, ne pas revenir en arrière, sortir de l’immeuble, ne pas revenir en arrière, aller jusqu’au magasin, ne pas revenir en arrière, prendre un kilo de pommes, attendre mon tour à la caisse sans poser-là mon sac pour vite courir à la maison, rentrer au contraire en marchant, respirer un grand coup avant de franchir la porte de l’appartement, ouvrir les yeux, desserrer les dents, ne pas avoir l’air en panique… Autant d’épreuves à surmonter au début. Et puis, comme j’ai retrouvé à chaque fois Piwi Cœur dans une situation que je n’aurais certes pas autorisée si j’avais été là, mais finalement pas en danger et plutôt même en rires, je me suis habituée…
Les autres étapes ont été plus simples à passer. Le laisser une après-midi à ses grands-parents (qui pour le coup ne connaissent pas le matériel et peu l’enfant, confinements oblige…) et enfin, le jour venu, le laisser à la crèche. Piwi Cœur n’était pas encore vraiment en mesure de comprendre, et de mon côté, le travail était fait. J’avais d’autre part une confiance totale dans l’équipe de la crèche. La conviction qu’elle saurait même beaucoup mieux s’y prendre que moi avec ce petit bout si particulier !
Piwi Cœur… À la crèche… Avec d’autres enfants, d’autres adultes, sans sa mère… Quel événement… Quelle victoire !!!
Et quel drame terrible quand il a fallu revenir à la case départ… Mais cela, c’était en 2021… Nous vous raconterons l’année prochaine 😉
Sujet 3 : la personne/la structure qui accueille.
Comme pour tout petit enfant, Piwi Cœur peut être gardé par une assistante maternelle, une nounou à domicile, ou une crèche. Seulement, pas n’importe lesquelles : je vois deux conditions particulières à remplir par rapport à ses besoins particuliers…
- L’envie.
- Le savoir-faire.
Pour ce qui est de l’envie, vous allez me répondre, comme les élus que nous avons rencontré au cours de notre tournée dans l’est de la France, que « de toute façon, c’est écrit dans la loi ». En effet. Dans la loi n°2005-102 du 11 février 2005 pour l’égalité des droits et des chances, il est écrit ceci : « Toute personne handicapée a droit à la solidarité de l’ensemble de la collectivité nationale, qui lui garantit, en vertu de cette obligation, l’accès aux droits fondamentaux reconnus à tous les citoyens ainsi que le plein exercice de sa citoyenneté. […] A cette fin, l’action poursuivie vise à assurer l’accès de l’enfant, de l’adolescent ou de l’adulte handicapé aux institutions ouvertes à l’ensemble de la population et son maintien dans un cadre ordinaire de scolarité, de travail et de vie. […]. »
Donc, un enfant en situation de handicap a autant le droit à une place en crèche que n’importe quel autre enfant. Sauf que « n’importe quel autre enfant » n’a pas une place en crèche, n’est-ce pas ? Donc quand une structure « lambda », municipale, associative ou privée, a une liste d’attente de 30 enfants, c’est un choix de dire : « Allez, parmi les 30, je prends ce petit qui est en situation de handicap ». Donc, une question d’envie.
Les autres alternatives, l’assistante maternelle, la nounou, ont elles aussi le choix des enfants qu’elles gardent. Donc l’envie… ou pas.
L’envie d’accueillir un enfant qui va demander une attention particulière, probablement perturber le fonctionnement du groupe, avoir un comportement imprévisible que l’on ne saura pas forcément gérer…
L’envie d’affronter les lourdeurs administratives pour les crèches. La CAF, la MDPH… Parcours du combattant pour les familles, mais aussi pour les structures d’accueil.
L’envie d’organiser les soins particuliers, si l’enfant a besoin de séances de kiné, de psychomotricité, d’une infirmière pour l’alimenter, le ventiler… Bonjour la charge mentale !
Vient alors tout naturellement le point 2 : le savoir-faire.
Avec l’envie, on peut se former pour être en mesure d’accueillir un enfant au comportement différent sans que cela ne pèse sur le déroulé de la journée. Avec l’envie, on peut déjà apprendre quelques bases de bébé signe par exemple. Pour pouvoir communiquer avec lui.
Avec l’envie, on trouve des solutions à tous les problèmes administratifs. Les bons contacts. Les bons formulaires. Vite fait bien fait, on n’en parle plus.
Avec l’envie, on ne devient ni kiné ni infirmière certes, mais organiser la venue de ces professionnels si l’enfant en a besoin sur son lieu de garde est vécu comme une grande aventure collective qui donne des ailes plutôt que comme une montagne qui épuise rien que d’y penser.
Evidemment, quand le projet d’une structure d’accueil est construit d’emblée dans ce sens, comme pour la crèche Pépilou, avec une infirmière dans l’équipe, toute l’équipe mobilisée autour du projet, la CAF, la MDPH et la ville partenaires, tout est beaucoup plus simple ! Mais d’où vient la crèche Pépilou au départ ? De l’envie de sa directrice, Blandine Lery-Verdoja, de mettre son savoir-faire d’infirmière puéricultrice au service de l’inclusion ! L’envie, on en revient toujours à ce mot : L’ENVIE…
Alors certes, il y a la loi. Elle donne les moyens d’agir à ceux qui en ont l’envie. Mais sans l’envie, elle n’est que lettres noires sur papier blanc… C’est en répandant L’ENVIE que les montagnes infranchissables deviendront collines puis vastes plaines !