L’hôpital à domicile. Témoignage. Par Marion Curtillet.

Photo : Les aventures de Piwi Cœur.

« Capitulation »…

La toute première fois que Piwi Cœur a découvert sa maison, il avait deux mois et demi. Il n’avait jamais quitté la réa depuis le jour de sa naissance. Il avait été opéré du cœur à un mois, et il lui avait fallu un mois et demi pour s’en remettre.
« S’en remettre » … un bien grand mot : nous étions arrivés plus exactement à une situation respiratoire « stabilisée » … Il respirait toujours très mal, mais les médecins ne pouvaient rien faire de plus. Ils parlaient maintenant de maladie neuromusculaire. Ce serait le respirateur, ou l’asphyxie.

« Pour la première fois, nous avions une prise sur le destin de notre enfant »

Par cette forme de « capitulation », la médecine ouvrait en fait un espace pour nous, les parents. Pour la première fois, nous avions une prise sur le destin de notre enfant. Pour la première fois, nous avions une vision, un projet : son espérance de vie serait probablement très courte, et nous allions tout faire pour qu’à défaut de vivre longtemps, il vive beaucoup !

Première étape : il devait sortir de l’hôpital. Au plus vite, de toute urgence ! C’était très fou mais très clair dans notre tête : chaque jour de plus passé en réanimation était un précieux jour de « vraie vie » en moins.
Seulement, voilà…. Comment sortir ? Les machines ? Les soins ? Il pouvait s’étouffer juste en avalant sa salive ! Un papa dans l’informatique, une maman dans le commerce, pas la moindre notion de secourisme, rien du tout… Juste l’énergie du désespoir comme levier pour soulever un à un les obstacles qui séparaient leur enfant de son foyer !

*

Le médecin trouva notre soudaine précipitation incongrue, mais se montra compréhensif. Il nous expliqua qu’il existait une structure, l’HAD pédiatrique, qui permettait aux enfants très fragiles, lourdement médicalisés, de vivre chez eux dans des conditions de sécurité maximales. Il nous en a expliqué le fonctionnement : nous allions être formés ici, à l’hôpital, à nous servir des machines, à donner les traitements, à évaluer l’état clinique de notre enfant, à procéder aux gestes d’urgences. Une fois à la maison, des infirmières passeraient pour nous aider et s’assurer que tout allait bien. Un kiné viendrait tous les jours dégager ses voies respiratoires, plusieurs fois par jour si nécessaire. Une orthophoniste, un kiné moteur, une psychomotricienne, assureraient le suivi de son développement.

« Nous ignorions que l’on pouvait vivre en étant si malade »

Nous n’avions jamais entendu parler d’une telle structure. Et pour cause : nous ignorions que l’on pouvait « vivre » en étant si malade, si fragile… Que l’on pouvait « vivre » en respirant à travers une machine ou en étant alimenté par un tuyau dans le nez. Nous ne savions déjà pas, avant la naissance de Piwi Cœur, que c’était possible à l’hôpital. Alors l’imaginer à la maison… Dans NOTRE maison…

Photo : Les aventures de Piwi Cœur.

De l’aigu au chronique

Ce jour-là, nous avons été transférés dans le secteur « chroniques » de la réanimation pédiatrique. J’ai demandé ce que cela voulait dire. Et j’ai appris deux mots : « aigu », pour un état pathologique transitoire, qui a vocation à disparaître. Et « chronique » pour un état pathologique durable, qui n’a pas vocation à disparaître. Après deux mois dans « l’aigu », Piwi Cœur basculait maintenant dans le monde du « chronique ».

Changement radical d’ambiance : ici, il n’était plus question de chercher, ni des causes, ni des solutions. Mais d’apprendre. Apprendre à connaître Piwi Cœur tel qu’il était. Apprendre à se servir du matériel, à donner les traitements. Apprendre à le surveiller, à agir vite et bien à chaque alerte. Nous familiariser avec cette nouvelle vie qui serait la nôtre, commencer à l’apprivoiser. Nous y projeter ? ça, non. Nous n’imaginions pas Piwi Cœur survivre longtemps… L’objectif de le ramener à la maison occupait tout l’horizon. Derrière, il n’y avait rien. Son avenir, notre avenir, se limitait à une date : le 18 février. Ce jour-là, Piwi Cœur dormirait dans son lit, dans sa chambre, entouré de ses frères et sœurs…

« L’objectif de le ramener à la maison occupait tout l’horizon »

En deux semaines, nous sommes passés de parent passifs et impuissants, dépendants des infirmiers pour la moindre petite chose, à parents autonomes, capables de gérer la pompe d’alimentation, la sonde nasogastrique, les scopes, le respirateur, l’aspirateur, l’oxygène, les médicaments…

Pendant que nous apprenions tout cela à l’hôpital, les grands-parents travaillaient dans l’appartement : Piwi Cœur, avec tout son matériel, aurait besoin d’une chambre à lui tout seul. Il fallait revoir complètement l’agencement de notre habitation.

Photo : Daniel Weiss

La maison !!!

18 février. Piwi Cœur, pour la première fois, respire l’air de l’extérieur. Prend la voiture, l’ascenseur. Franchit la porte de sa maison. Découvre sa chambre, son lit. Une nouvelle vie commence pour lui, pour nous tous.

Comme prévu, les infirmières de l’HAD passent régulièrement, deux fois par semaine. Parfois plus, quand le besoin s’en fait sentir. Le kiné respi vient tous les jours, plus quand Piwi Cœur est très encombré. Nous avons été très bien préparés par les équipes de l’hôpital. Nous gagnons vite en confiance, prenons nos libertés, trouvons notre rythme. Parfois, la situation se dégrade et devient ingérable à la maison. C’est alors le 15, les pompiers, retour à la case réa pour quelques jours…

Nous sommes restés en HAD pendant huit mois. Le temps pour nous d’intégrer qu’il était bien possible de vivre comme ça… Que notre vie serait comme ça. De nous inventer une nouvelle forme de « normalité ». Notre normalité.

*

Entre temps, les gènes ont parlé : les difficultés respiratoires sévères de Piwi Cœur n’étaient finalement pas liées à une maladie neuromusculaire, mais au syndrome de Prader-Willi et à l’hypotonie néonatale qui l’accompagne. Elles avaient donc vocation à disparaître en même temps que cette hypotonie, vers plus ou moins deux ans…

Avec ce nouveau rebondissement, nous sortions de la survie, pour rentrer dans la vie avec le handicap. Un changement de plan que nous n’avons pas encore réussi à passer. Nous avons besoin d’un peu de temps…

4 Comments

  • Margarita

    Je n’ose imaginer ce que vous avez vécu et mon admiration grimpe encore de plusieurs crans, vous êtes une famille extraordinaire ! Plein de bisous pour tous et un gros pour Piwi Cœur !

  • Marion Curtillet

    C’est Piwi Cœur qui est extraordinaire je crois… Nous autres, la famille, nous suivons du mieux que nous pouvons… En fonction de lui. Et ça doit être un peu pareil pour tous les Piwi Cœur, tu es bien placée pour le savoir ;). Merci pour le soutien et les encouragements !

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