Le regard « des gens ». Témoignage, par Marion Curtillet.

Regards qui glissent…

Quand Piwi Cœur se promène dans la rue avec sa poussette bleue, les gens se prennent les poteaux… Pas parce que la poussette est bleue, mais à cause du tuyau dans le nez. Ils sont scotchés. Comme si un extraterrestre sortait de sa soucoupe volante juste devant eux. Ils continuent d’avancer en gardant les yeux rivés sur lui. Alors boum… Le poteau !

C’est normal aussi ! Vous aviez déjà vu, vous, un bébé avec un tuyau qui sort du nez ? Moi, avant Piwi Cœur, jamais… Je ne savais même pas que ça pouvait exister. Donc je comprends que ça interpelle !

C’est pas grave !

L’autre piège qui marche à tous les coups, ce sont les secrétaires médicales, les premières fois qu’elles reçoivent Piwi Cœur :

– Bonjour, je suis la maman de Piwi Cœur.
– Bonjour, Piwi Cœur n’est pas avec vous ?
– Si si, c’est lui.
– Ah !  Il n’est pas né le 2 décembre 2018 alors.
– Si si, il est bien né le 2 décembre 2018.

[Un blanc]

– Oh… Pardon.
– Non non, c’est pas grave !

Evidemment, quand un enfant de 12 mois a l’air de sortir de la maternité, on pense à une erreur de saisie dans le dossier !

Dans le même genre, il y a ceux qui disent : « Oh dis donc, qu’est-ce qu’il est éveillé ! » Alors là, si vous voulez, il y a plein de mots adaptés pour désigner Piwi Cœur, mais « éveillé »… Non… Vraiment, non.
Alors je réponds : « Pour un enfant de 6 mois oui, mais en fait, il en a 18 ».
Pareil, ça fait un petit blanc, mais comme j’en rigole, ça passe très vite et hop, on change de sujet.

L’image du miroir

Ce type de « regard des gens », pour l’instant, il ne me fait rien. Bien sûr, il me renvoie en miroir la situation dans laquelle se trouve mon enfant. Mais puis-je l’oublier un seul instant, cette situation ? Elle est ce qu’elle est ! Je ne la nie pas, je ne la minimise pas, je la prend telle qu’elle est. L’image du miroir correspond à celle que voient mes yeux. C’est l’image des apparences et pour les apparences, nous sommes sur la même longueur d’ondes, « les gens » et moi. C’est fluide, ça glisse.

*

Regards qui brisent

Il y a un regard qui ne glisse pas par contre. Un regard qui traverse les apparences et vient percuter ce qu’il y a de plus profond en brisant tout ce qu’il trouve sur son passage. Ce regard, c’est celui qui classe les vies. D’un côté, celles « qui valent la peine », de l’autre, celles « qui ne valent pas la peine ». Ce regard, il touche celui qui garde des séquelles d’un accident de voiture : « Il aurait mieux valu qu’il y reste ! » Celle qui lutte contre un cancer : « Pourvu qu’elle parte vite ! » Le dialysé : « C’est pas une vie ! »

Ne nous méprenons pas : ce regard n’est ni méchant ni mal-intentionné. Bien au contraire, il est la bienveillance et l’empathie poussées à leur paroxysme : « Je ne voudrais absolument pas de cette vie-là pour moi, donc je ne la veux pas non plus pour les autres ». Seulement, voilà, pour celui qui est « les autres », « cette vie-là »… c’est la sienne !

Ce regard, par ignorance, par manque d’éducation peut-être, d’ouverture certainement, attaque ce que nous avons de plus cher, notre Essentiel, ce qui fait de nous ce que nous sommes. Nous n’avons d’autre choix que de nous défendre, comment pourrions-nous laisser notre vie « ne pas valoir la peine » ?!? Nous en sortons vainqueur bien sûr. Mais à quel prix…

Les stigmates sont profonds. Ils resteront.

1 Comment

  • Martine Robineau

    je suis toujours immensément touchée par la profondeur des mots. Merci Marion, merci de nous aider à grandir dans notre humanité. Martine

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