L’ascenseur émotionnel. Témoignage. Par Marion Curtillet.
10 heures 50
J’arrive à l’hôpital, direction la réanimation pédiatrique. Je n’ai pas vu Piwi Cœur depuis minuit hier soir. J’ai appelé à 7 heures ce matin, les nouvelles de la nuit étaient « bonnes ». Enfin, comme ils disent à l’hôpital : « stables », ce qui laisse aux parents la liberté de l’interprétation. Que c’est long de devoir attendre jusqu’à 11 heures pour le voir…
11 heures
Ca y est, les parents peuvent rentrer. Plus exactement, ils peuvent sonner à l’interphone, et attendre qu’on leur donne la permission de rentrer. Comme chaque matin, j’ai la gorge nouée en appuyant sur le bouton. J’ai peur. Peur déjà de ne pas pouvoir rentrer, et peur de ce qui va se passer au cours de cette journée…
Je sonne. On me répond :
– Bonjour !
– Bonjour, je suis la maman de Piwi Cœur.
– Ah oui, on est en train de refaire son pansement. Ne vous inquiétez pas, tout va bien, mais il va falloir patienter quelques minutes. On viendra vous chercher.
Sans prévenir, sans raison, la pression déborde et s’empare de tout mon corps. Je tremble de partout et rejoins à grand peine la salle d’attente des parents.
Alors là, c’est normal, vous vous dites :
– On lui demande de patienter quelques minutes, et elle s’effondre ? Elle doit être très fragile à la base, non ?
Et bien, en fait, non… Pas spécialement… Je me suis même très souvent fait la même réflexion que vous :
– Mon corps : je crrrraaaaqqqqqquuuuueeeee !
– Mon cerveau : euh… Attends, on vient juste de te dire de patienter quelques minutes, là. Tu ne vas pas me lâcher pour ça quand-même ?
– Mon corps : bin si ! Je n’y peux rien, ça déborde !
– Mon cerveau : bon bon, d’accord…
11 heures 15
Me voici installée dans la salle d’attente pour une durée indéterminée, quand une autre maman rentre à son tour. Je tourne le dos vers la fenêtre et baisse la tête. Je ne veux pas discuter, je ne veux pas être polie, même pas faire semblant. Les personnes récemment arrivées, souvent, parlent. Elles s’intéressent, veulent savoir. Elles passent aussi beaucoup de temps au téléphone avec la famille, les amis.
Nous aussi, au départ, nous donnions des nouvelles. Nous écrivions des SMS, aux amis proches, à la famille : « Sat à 85 ce matin, pas d’oxygène de la nuit ! Youpi ! ». La série de smileys qui allait avec. Que voulez-vous, on y croyait vraiment ! On était euphorique, c’était parti, fini l’oxygène ! On recevait en réponse des « super ! », des clap clap, des pouces, des cœurs.
😀 😍💓✌👍👊👏
Mais seulement, voilà… Une heure plus tard, le même bébé avait complètement décroché. L’équipe avait tout essayé, mais rien à faire, il avait fallu l’intuber de nouveau… Retour dans la salle d’attente, au fond du fond du trou. A devoir écrire de nouveau au même groupe de personnes : « Finalement, ça ne va pas… On le ré-intube ». En nous disant bien que ceux qui allaient recevoir le message n’allaient rien comprendre. Comment comprendre !?! Comment un enfant pouvait-il être « stable » de minuit à 14 h et intubé à 15 h ?!? Ça n’avait aucun sens ! Déjà pour nous, à l’intérieur, mais alors pour des personnes qui n’avaient jamais mis les pieds dans une réa…
😔😟😮😢🤞🙏😑
« Dès le premier jour, les digues, qui n’avaient pas été construites pour des vagues aussi hautes, ont cédé »
Nous avons eu besoin de quelques semaines de pratique pour intégrer qu’ici, une « bonne » nouvelle était juste l’intermédiaire entre deux mauvaises, et une « mauvaise » l’intermédiaire entre deux bonnes. Et comme il ne s’agissait pas d’un chrono sur une course ou d’une belle promo sur un billet d’avion, mais de la vie ou la mort de notre enfant, les « bonnes » et « mauvaises » nouvelles généraient des tsunamis émotionnels d’une violence phénoménale. Dès le premier jour, les digues, qui n’avaient pas été construites pour des vagues aussi hautes, ont cédé. Et une fois que vous n’avez plus de digue, tout rentre, tout sort. La moindre petite brise venue du large créer une inondation. Et on se retrouve à genoux pour un petit rien du tout…
Il faut du temps pour apprendre à gérer un peu mieux ces émotions inconnues et tellement puissantes. En fait, je n’y suis jamais arrivée. J’ai juste accepté de ne rien pouvoir gérer du tout, et c’était déjà une grande avancée…
Et donc… la salle d’attente
Tout ce que je raconte ici, c’est impossible à comprendre si vous ne l’avez pas vécu vous-même… Alors, pour en revenir à la salle d’attente, nous ne parlions plus qu’avec les personnes qui vivaient la même chose que nous, c’est-à-dire qui étaient là depuis un certain temps. Et pour la famille, les amis, j’ai créé un groupe sur mon téléphone. Il s’appelait : « Essentiels ». Dans ce groupe se trouvaient mon mari (qui travaillait la journée et venait me retrouver le soir), les grands-parents, et la bonne fée. Les mêmes qui étaient autorisés à rendre visite à Piwi Cœur en réanimation, qui avaient vécu ses hauts et ces bas vertigineux en direct avec nous, les seuls à pouvoir « comprendre » ce qui se passait derrière cette porte coulissante. Ils étaient connectés avec Piwi Cœur et moi, ils avaient besoin de savoir, j’avais besoin qu’ils sachent. Nous étions enfermés dans le même ascenseur émotionnel.
les mots sont simples, et pourtant si forts….ils raisonnent au plus profond de moi… ce témoignagne unique est une source inépuisable de sincérité.
ce n’est pas du voyeurisme, juste beaucoup d’amour qui nous est partagé.
merci Marion et PiwiCoeur
Piwi Cœur est un symbole… Chacun peut se l’approprier et lui donner le sens qui lui correspond. Merci !
Personne ne comprend vraiment à part le vivre. La réanimation a été terrible pour nous. Le tsunami…Je détestais cette interphone !!!!! Lise une maman d’une petite cœur de beurre
L’interphone, oui… Tout un symbole à lui tout seul… On ne peut pas oublier, on ne peut pas vraiment partager. On peut se l’approprier peut-être ? Une partie de nous, de notre histoire.
[…] Une journée avec moi dans l’ascenseur émotionnel. Vivre « comme ça » ?Peut-on « s’habituer » ? […]