Les premiers jours. Témoignage. Par Marion Curtillet.

Photo : Patricia Prudente

Naissance

Quand Piwi Cœur est né, il avait déjà un dossier médical long comme le bras. Tous les services concernés par sa future arrivée l’attendaient. Nous, les parents, étions aussi préparés qu’on pouvait l’être en n’ayant jamais mis les pieds dans un service hospitalier autre que la maternité… 

L’accouchement s’est déroulé comme n’importe quel accouchement. Mais sitôt le bébé sorti du ventre de sa mère, pas de premier cri, pas de câlin, pas de peau à peau. Le cordon coupé, il a été emporté immédiatement vers un pédiatre. C’est la procédure, nous avions été prévenus. Nous avons même vécu comme une bonne surprise qu’il nous soit finalement ramené pour ce fameux premier câlin un moment après : si ses constantes ne l’avaient pas permis, il aurait été transféré directement en réanimation, sans passer par la case « parents ».

Ce fut notre premier contact avec cette flamme de vie vacillante, hésitante. Avec les scopes, les fils, la vigilance du personnel médical aussi, sur le qui-vive, prêt à bondir au moindre signe. Ce « premier contact » fût très bref. Personne n’était à l’aise. L’inquiétude était palpable, chez nous les parents comme dans les lèvres pincées des soignants. Nous n’avons pas cherché à prolonger. Nous avons transmis à Piwi Cœur toute notre énergie, puis il a été emmené dans un véhicule bien particulier dans les sous-sols reliant l’HFME (la maternité) à l’hôpital cardiologique : unité 41, réanimation pédiatrique.

Son papa a pu l’accompagner. Moi, on m’a emmenée dans ma chambre de maternité. On m’a expliqué le fonctionnement du tire-lait, et on m’a dit de me reposer.

Photo : Guy Basabose

Le serrer contre moi…

Être séparée de son enfant à peine né, tellement fragile… C’était à la fois insupportable, et à la fois la source d’une énergie dont je ne me serais jamais crue capable. Mon mari avait noté scrupuleusement ce qui s’était passé et dit « de l’autre côté », pour pouvoir me transmettre toutes les informations. Mais les données, aussi précises soient-elles, ne comblaient pas le vide. Je devais le voir, le sentir, lui parler, le serrer contre moi.

L’après-midi même, en catimini, je me levais, et je traversais à mon tour en direction de l’hôpital cardiologique. J’avais la boule au ventre et les jambes tremblantes, à la fois parce que je venais d’accoucher, à la fois d’appréhension de ce que j’allais découvrir « là-bas ».

Le hall, l’ascenseur, le couloir, la porte coulissante, les chambres. Et puis, tout au fond, la réanimation. L’interphone. L’infirmière qui vient m’expliquer avec douceur et délicatesse ce que je sais déjà : le protocole pour rentrer, les visites réglementées, les horaires. Le vestiaire pour les affaires, les mains, la blouse, le masque. Ses paroles m’arrivaient comme dans un brouillard. Mon cœur, mon cerveau, ma vue, tout tremblait… Mon enfant…

Photo : Cory Mogd

La réa

Enfin, j’ai pu rentrer. Il y avait huit berceaux, répartis en deux ailes séparées par « l’aquarium » des soignants. Piwi Cœur occupait celui qui faisait face à l’entrée. Il était minuscule. En couche. Allongé à califourchon sur un boudin. Les doudous de ses frères et sœurs avaient été disposés autour de lui. Il était placé sous une lampe qui le chauffait. Branché sur le torse, les jambes, les bras, des patchs partout, les tuyaux dans le nez. Ses yeux étaient fermés, il n’était pas là. Aucun mouvement, aucune expression. Il n’y avait que son torse qui s’agitait en soubresauts désordonnés et sa respiration, extrêmement rapide et difficile.

Je ne connaissais rien à tous les appareils auxquels il était connecté, j’ai juste compris tout de suite que je n’allais pas pouvoir « le prendre dans mes bras » comme j’aurais tant voulu le faire. Je n’avais pas encore parlé à un médecin, je n’avais pas de détails sur son état de santé. Ça ne me manquait pas, ça ne m’intéressait pas. J’avais besoin d’être près de lui, de lui tenir la main et de lui faire passer tout l’amour que je portais.

Photo : Petit Cœur de Beurre

Et puis, une obsession s’est emparée de moi : ses frères et sœurs. Ils devaient venir.

– Je suis désolée, c’est impossible, a répondu l’infirmière qui s’occupait de nous. Pas aujourd’hui. Il faut qu’ils soient vus par un psychologue d’abord.

Nous avons poliment insisté, discuté avec le responsable du service :

– Les enfants sont au courant de tout, avons-nous expliqué. Nous ne leur avons rien caché. Ils savent que ce bébé peut mourir à tout moment. S’ils ne le voient pas, ils vont croire qu’il n’a pas survécu à la naissance. Il faut absolument qu’ils puissent venir.

En fait, avec le recul, je crois que j’espérais inconsciemment que la puissance de vie de ses frères et sœurs serait capable de faire pencher cette petite étincelle du côté « vie » de la balance. Piwi Cœur devait savoir dès maintenant, tout de suite, que quelle que soit la hauteur des obstacles devant lui, il fallait qu’il les franchisse. Que ce qu’il trouverait derrière en valait la peine !

4 Comments

  • Margarita

    Très beau témoignage, cela me rappelle un peu mon vécu, comme toi je n’ai jamais eu Matias dans ma chambre . Ce Piwi est extraordinaire, quelle force de vie. Bisous

    • Marion Curtillet

      Ce sont des moments que l’on ne peut pas oublier, en effet. Jamais… La force de vie de Piwi Coeur vient des personnes comme toi qui le soutiennent depuis le départ ! Bravo et merci !

  • Eric Kipik

    Merci pour ces mots si beaux…si simples et tellement forts qui nous montrent tout l’amour que Piwi a reçu dès sa naissance…!!!! plein de byz à toi cher Piwi. Eric (kipik)

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *