Vous vous souvenez du thème de la tournée ? « La communication est difficile. Pourquoi ? Que puis-je faire, moi, pour la rendre possible malgré tout ? » Quand le « moi » est un proche ou l’orthophoniste d’un Piwi Cœur, il peut lui donner accès à la CAA. Oui, mais la CAA (Communication Alternative et Améliorée) c’est quoi, au juste ? Nous avons rencontré Lorène Thil-Duquenoy à Aix-en-Provence. Elle est orthophoniste, elle l’utilise tous les jours depuis des années et elle forme même à son utilisation. Elle nous explique tout.

Interview
Marion : Tu pratiques la CAA depuis 15 ans. Comment t’es-tu lancée ? Par quoi as-tu été attirée ?
Lorène : Déjà, j’ai choisi le métier d’orthophoniste pour le handicap, c’est ça qui m’intéressait. J’ai tout de suite compris l’intérêt de la CAA. Je n’étais pas formée au départ, mais j’étais prête à apprendre et j’ai vite pu mettre le pied dedans. La CAA a révolutionné ma pratique. Elle offre ce que l’on appelle dans le jargon un « bain de langage alternatif« . Le visuel multiplie le nombre de mots que l’on peut proposer à un enfant sans le noyer, le saturer.
Une idée reçue voudrait que la capacité à reconnaître les images soit un prérequis pour utiliser les pictogrammes, que ce soit avec un classeur ou une tablette de communication. En réalité, ce n’est même pas nécessaire : les pictos sont toujours placés au même endroit et les enfants retiennent le chemin qui permet d’y accéder.
Marion : Nous avons été surpris, au cours de la tournée, de constater à quel point la CAA était peu connue. Les médecins, les écoles, même l’ERHR, ont été très curieux de découvrir la tablette de Piwi Cœur, ils n’en avaient pour la plupart jamais vu, au mieux en avaient-ils vaguement entendu parler. Est-ce que cela t’étonne ?
Lorène : Pas du tout, non. La communication est considérée comme secondaire, par les médecins notamment, qui gèrent le vital et n’intègrent pas « communiquer » dans ce qui est « vital ». L’initiative vient toujours des parents, qui doivent se battre pour donner à leur enfant l’accès à la CAA. Ils doivent même se justifier, expliquer que non, ce n’est pas de l’acharnement, mais bien un besoin essentiel pour leur enfant.
Quant aux orthophonistes, ils connaissent mais sont encore trop peu nombreux à être formés. La CAA est d’ailleurs toujours absente ou presque de leur formation initiale, c’est à eux de prendre l’initiative de se former de leur coté. Ils connaissent tous en revanche les orthophonistes « spécialisés » dans leur zone géographique et leur envoie les patients concernés. Malheureusement, ces professionnels « référents » ne peuvent pas répondre à toutes les demandes, nous devons être plus nombreux. Il y a toute une éducation à faire auprès des professionnels, pas que les orthophonistes d’ailleurs : les éducateurs spécialisés, les psychomotriciens, peuvent aussi se former et transmettre. Il faut démystifier, la CAA, ce n’est pas si compliqué !
Marion : Tu t’investis beaucoup personnellement dans cet effort de sensibilisation et de formation.
Lorène : Je suis formatrice oui, pour Planète TSA et Oséo Formation. Je donne également des cours à la fac de Marseille, une des rares qui parle de CAA aux futurs orthophonistes. J’ai créé le compte Instagram lo.rtho.et.les.tsa il y a trois ans, dans un souci de vulgarisation et pour combler ce qui me semblait être un manque dans la profession. J’essaye de donner envie aux familles, aux orthophonistes, aux autres professionnels, de se lancer.

Marion : As-tu identifié dans ta pratique des difficultés, des obstacles dans l’accès à la CAA ?
Lorène : Les obstacles sont nombreux, oui. Le premier est l’accès au matériel quand on parle de tablette et de logiciels de communication. Pour les orthophonistes déjà : l’équipement représente un investissement, les créateurs des logiciels devraient rendre les licences gratuites pour les professionnels, ce serait un bon début. Pour les familles ensuite, il faut savoir comment s’y prendre pour le financement, selon sa situation, et ce n’est pas évident pour tout le monde. La MDPH doit d’abord valider le besoin de l’outil. Ensuite, si l’enfant est scolarisé, c’est l’école qui fournit la tablette. S’il est dans une structure spécialisée, non.
Mettre en place les séances en cabinet n’est pas compliqué. Je passe beaucoup par le jeu bien sûr, c’est le plus efficace. Vous voyez, ici, c’est le tableau « Croque-Carotte », avec tous les pictos dont l’enfant a besoin pour pouvoir jouer. S’il aime le jeu, il apprendra très vite. J’ai des tableaux pour des dizaines de jeu, je m’adapte aux capacités et aux goûts de chaque enfant.
Reste ensuite à faire sortir la CAA du cabinet, et ça, c’est une étape difficile à franchir. D’autant plus qu’à la maison, dans la vie quotidienne, on se comprend ! On ne voit pas toujours l’intérêt de faire un effort pour aller plus loin.
Pour y remédier, personnellement, je commence par une utilisation ciblée, en accord avec les parents, selon les centres d’intérêt de l’enfant. Je passe par des TLA (Tableaux de Langage Assisté). Ils sont certes contextuels et restreints, mais ils permettent de se saisir de l’outil, dans un premier temps, et de l’implémenter à la maison. Lorsque les TLA ont trouvé leur place en dehors du cabinet, les parents comprennent ce qu’ils apportent et nous pouvons alors passer à une utilisation dite « robuste » (qui permet une expression libre, sans limite de grammaire, de vocabulaire, de contexte).


C’est ce type de tableaux que nous aimerions voir fleurir dans les hôpitaux, les aires de jeux, à l’école.
Marion : Et en dehors de la maison ? À l’école par exemple ? (Nous n’avons pas encore réussi, de notre côté, pour Piwi Cœur).
Lorène : À l’école comme dans les structures spécialisées, cela dépend des personnes sur lesquelles on tombe. Utiliser un outil de CAA, qu’il s’agisse d’un TLA, d’un classeur, d’une tablette, demande un travail supplémentaire pour les adultes. La question est de trouver un moyen de les accrocher car c’est eux qui vont modéliser. L’enfant ne peut pas apprendre à se servir seul de l’outil, il a besoin d’un adulte pour lui montrer.
Il faut commencer doucement. Déjà, arriver à fixer un moment « CAA » dans la journée.
Marion : Le fait que Piwi Cœur commence à parler ne facilite pas les choses. Il arrive à peu près à se faire comprendre, ce qui fait que les adultes de l’école ne voient pas vraiment l’intérêt d’utiliser la tablette.
Lorène : Oui, avec Piwi Cœur, vous êtes dans une utilisation dite « augmentative« . Vous utilisez la tablette pour lui permettre d’enrichir son vocabulaire et de s’exprimer d’une manière de plus en plus précise. Vous lui donnez la chance de pouvoir être compris au-delà du cercle des personnes qui sont habituées à sa façon de parler et en dehors des contextes familiers (maison, école). Le retour vocal de la tablette est précieux pour être compris et apprendre à bien prononcer, les deux. Mais effectivement, pour ceux qui comprennent déjà l’enfant et ne connaissent pas le potentiel de la CAA, cela peut sembler superflu.
Il faut arriver à accrocher l’adulte, on en revient toujours au même.
Marion : La journée CAA organisée par l’ERHR AURA à Clermont-Ferrand le 17 février a rassemblé une centaine de professionnels très motivés, qui avaient cette envie de découvrir, d’apprendre. Les choses sont-elles en train de bouger ?
Lorène : Nous avons accumulé, en France, un énorme retard par rapport à d’autres pays. Le fait que les médecins ne soient pas formés, même pas sensibilisés, est un frein considérable. Mais les choses sont en train de bouger, oui, les initiatives se multiplient, on en parle de plus en plus. Ce n’est pas encore ça, mais la machine est en route.
|Pour voir concrètement comment Piwi Cœur s’exprime avec sa tablette, par ICI !]
Les applis de communication
La CAA peut prendre différentes formes, les utilisateurs jonglent en général des unes aux autres. Les signes, c’est de la CAA. Un classeur de pictogrammes, c’est de la CAA. Une tablette avec un logiciel de communication, c’est de la CAA. C’est sur ce dernier outil, le moins connu, que nous allons nous concentrer ici.
Il existe principalement trois applications disponibles en français pour la CAA avec une tablette/un téléphone. Voici les sites internet des trois fabricants. Vous pouvez ainsi vous renseigner « à la source » et accéder à des informations fiables et d’actualité (de nouvelles versions des appli sont développées régulièrement, les fabricants proposent aussi de l’équipement, ils vous mettent à disposition des vidéo d’utilisateurs et vous permettent d’essayer en ligne) :
- Tobii Dynavox (États-Unis, connu pour TD Snap).
- Smartbox (groupe CareTech, Royaume-Uni, connu pour Grid).
- AssistiveWare (Pays-bas, connu pour Proloquo2Go).
Piwi Cœur utilise Proloquo2Go. Nous avons contacté AssistiveWare et Magali Barthere, la représentante de l’entreprise pour la France, a accepté de répondre à toutes nos questions. Elle vous présente un état des lieux complets de la CAA avec logiciel de communication !
Il n’est jamais trop tard pour commencer à apprendre, ça c’est la bonne nouvelle.
Magali Barthere
Rendez-vous la semaine prochaine pour la conclusion !
Pour acheter l’album ?
Sur ce site, ICI.
Et chez votre libraire habituel partout en France !


Toute la tournée !
- Lundi 17 février : journée CAA, Clermont-Ferrand.
- Lundi 24 février : avec les élus et l’association Prader-Willi France à Cannes.
- Mardi 25 février : dans une école à Hyères-les-Palmiers, à l’hôpital Lenval à Nice.
- Mercredi 26 février : le conservatoire d’Hyères, le Toulon Etudiant Club d’athlétisme.
- Jeudi 27 février : l’ERHR PACA Corse, Marseille.
- Vendredi 28 février : trois familles face au syndrome de Prader-Willi.
- Samedi 1er mars : la Communication Alternative et Améliorée (CAA).
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